Alors
Alors, alors, ton âme dépareillée, trop heureuse d’exister, simplement d’exister pour demeurer attentive
au mouvement des entailles profondes et asséchées de ton introspection facile, je reste coi. Alors, fétu
de paille, fétu appareillé, décontenancé, fœtus mort né, tu n’es plus historique ou destiné, mais regarde-les
tes frissons, émotions tu dis, réflexions tu dis, mais alors prend-les, déchire-les, détruit-les, mais
quand-est-il ? Où sont les autres, les accessoires, les costumes et les verrous, les écharpes tendues,
les brises glaces, les anges et leur troupe, où sont-ils les autres, les morts, et ceux qui le sont encore,
les zombies, les puces et les marchands, vendeurs de rêves en barres chocolatées, que tu fabriques pour toi-même.
Mais où donc ! Où sont les songes et les pensées, tordues, alambiquées, mais où donc ? Tu restes politique, atypique,
mélancolique, statique, mais où sont les autres tics ? Cachés, vérolés, occupés à travailler ta viande pour
changer de cap, de chemin et puis quoi ? Fatigue, envie, ennui, mort, mort et marre encore. Marre bien trop.
Marécageux plutôt, morbide, mystique si tu veux. Mais tant pis, tant pis pour ceux qui prient, qui puent, qui
sentent le résigné. Indifférent. Qui s’en souviendra. Alors, regarde-les tes enfants, ton chien, et puis
pourquoi pas tes riens, tes solitudes, ton corps contre le mien, ton organique absence d’existence, la
chimère de ton chagrin. Et quoi, trop content de souffrir, trop contente ta mort, déjà notée sur ton agenda
chargé, lui laisseras-tu du temps ? Dis nous alors, nous qui aimons penser, penser pour goûter à cet élixir
doux amer, la terre tremble. Alors pourquoi pas les autres ? Pourquoi pas les nôtres ? Les nôtres de rêves,
la vermine, la guimauve collée au palais des dieux déjà rassasiés. Encore sur leurs dos, encore sur leurs têtes
les jongleries tronquées par nos soirées. Vibrante, vibrante, vibrante je dis. Je veux, je souhaite, je désire,
et désire encore et puis quoi encore, le rasoir dans le tuyau bleuté du bras, vraiment utile pour une fois.
Tentant, tentant, et puis tant pis. J’y goûte pas aux impressions, au velours et au coton, et le désespoir avec.
Tes chimères en bandoulière, la fleur au fusil, et les pieds dans les crayons, ton vélo est trop petit pour ton
mépris. Ressortons les carillons, on n’a pas fini la fête, quoi ça te suffit ? Déjà oublié, déjà noyé, assez endormi ?
Assez enterré peut-être ? Mais alors, où sont-ils ? Où sont-ils passés ? Cailloux dans la boue, dans une gangue
de chaleur sale, les pointes et les grains ne dépassent pas. Encore, encore, pas assez épaisse la boue ! Enterre
encore, remets une couche, je le vois trop, beaucoup trop, ton regret, ta mort, et tes petites mesquineries, et la
torpeur. Je suis là. Je creuse, je touille pour t’obliger à recouvrir encore les plaies de la boue. Je veux des
cicatrices, des larmes et du sang, des croûtes sur les joues, des cratères dans le cœur, et mon pieu dans le cou.
Trop tard tu dis, trop tard, comme si c’était possible un jour. Alors garde-les, les pleurs et les frissons, les
poisons, la honte, et la fierté en prime. Ils n’existent plus si on ne te les arrache pas. Je suis ton sauveur,
ton Dieu. Le dieu de l’instant. Et tu dis trop tard. Trop tard toujours. Donne-le moi plutôt ce trop tard là, tu
n’es pas toi sans ça. Je le veux le trop tard, et le tant pis aussi. Le gras dépasse de la chaise, regarde, on le
voit sans se forcer. Mais tu le sais, tu le sais, tu le sais ! Tu caches pour mieux montrer, enfouis dans tes
pantoufles en lin qui voudraient être en verre, parce qu’au moins le verre ça fait mal. On n’est pas au chaud
là-dedans, mais au moins on a mal. Tu pourras compter les grains de vide de la plage ensoleillée, ton île, ton
refuge, ton feu de cheminée crépitant, nourri par des papillons amers, mais ça tient chaud, et c’est joli.
Alors, alors ! Toujours là ! Ne vois-tu pas, ne vois-tu pas que j’en ai marre de toi, et des autres et moi
aussi. Faudrait voir si ça a du goût tout ça, faudrait tester, et mélanger. Mets du plaisir là-dedans, du bon,
du plaisir quotidien, de l’habitude. La clope, le pain, et la séance de cul chez le chat du voisin. Brasse-le,
mets du sel, allez des épices, du choix et de la mauvaise foi, et un peu de connerie. Voilà, c’est ça, c’est bien,
c’est rien. La vie et pourquoi pas ? Si on peut manger gratuit. Si on peut ramper jusqu’au lit sans penser, si on
peut dormir sur le nez, pour pas sentir l’odeur de ses fantasmes, les vices et sa vertu pourquoi pas ? Et mieux si
on peut refiler le bébé à quelqu'un d'autre, qui ne demande rien mais qui prend tout. Parce qu’on lui explique que
c’est du savoir-vivre, du savoir-mourir, du savoir-penser, sentir, et aimer si ça lui chante, mais on s’en fout après
tout. Dis-le, pour moi dis-le, dis-moi ce que tu es, où tu te terres quand tu ne te surveilles pas, où tu dérives.
Dis-moi ta ruine, tes semelles de tout qui marchent sans souffrir ce qu’il y a dessous. Tes semelles de rien, ton
peignoir, la cape de poils séduisante masquant l’insolence. Fais-moi voir les bêtises, le brouillon, le remords et
son aiguillon perfide qui agite les nerfs usés par l’illusion. Allez, donne moi tout ça, les enfants, la maison et
la vie, le voyage et l’aventure et puis les femmes aussi. Mais où est-il ?
Regret.