La voie
Il marche tranquille le long d’une artère secondaire, cette ville,
Repensant à quelques visages, quelques moments,
Défilant sous ses pieds, les absences, les éclats tranquilles,
Les choix et les mots non dits, l’instant d’un mourant.
La tête basse et le teint pâle, l’habitude du vide,
Le temps dans ses mains comme unique amant,
Le seul gardien de ses solitudes morbides,
L’angoisse au fond des tripes, la bile sur ses dents.
Son œil autrefois malicieux, étouffé par les nerfs,
La rage d’être, devenue amertume et plaisirs pervers.
Conscient des départs ratés, des actes reportés,
Comment comprendre que rien n’a changé ?
Pourquoi sans punition, pourquoi sans petite mort,
Pas de faveur, juste la vie sans relief,
D’un corps bougeant sous les astres moqueurs, alors,
Il a traversé un quotidien moribond, sans griefs.
Il a continué, sous ses yeux, jugé lâche,
Mais ça vaut mieux qu’une naïveté sans tâches.
Il l’attendait pourtant au tournant espérant,
Son coup de grâce, son sens, un châtiment.
Tant pis si la vie a foutu le camp,
Si la passion n’a plus le temps,
Si la mort est au bout du chemin,
Pour une fois il prendra le sien.
Tant pis si la vie a foutu le camp,
Si la passion n’a plus le temps,
Si la mort est au bout du chemin,
Pour une fois il prendra le sien.
Invisibles et petits ses amours enfuis,
Il a retenu celui qui dure,
Celui qui reste malgré les plis.
Celui qui gravite, mais endure.
Il a pourtant tenté de garder,
Celui qui palpite, et possède.
Celui qui transporte, qui obsède,
Il lui a glissé des doigts, un matin.
Il n’a pas bougé, dans son coin,
Attendant le réveil cinglant son errance.
Il a même eu des enfants, jouant de malchance,
Et la vie, le vécu, les amis, la mort,
Jouant avec ses nerfs, comme un petit ressort,
Vrillant les autres, semblant d’agitation retors,
Il reprend son essor chaque jour à la traîne,
S’autorisant parfois lorsque le temps lui permet,
Quelques instants seul, sans répit, vrais.
Mais ça ne peut pas continuer, ça ne peut plus continuer,
A mort mon être! A mort cette torpeur édentée.
Tant pis si la vie a foutu le camp,
Si la passion n’a plus le temps,
Si la mort est au bout du chemin,
Pour une fois il prendra le sien.
L’apocalypse en marche, mais ça se prépare,
Ça se cogite, pour ne pas partir en retard,
Il ne va rien changer, pas bouger d’un pouce,
Attendre tranquillement un banal retour aux sources.
Et là, il frappera, méthodique, tactique, sans retraite,
Il tranchera les liens d’une inertie trop nette,
Et là il partira sans se retourner, par delà les monts,
Sans escale, sans attendre, sans tourner en rond.
Il ne souffrira plus la mêlasse poisseuse du monde figé,
Les coups et la trombe de la foule enlisée.
Il brisera ses chaînes, son sang ne fera qu’un tour,
Plus de fatigue, plus de jours amers, pas de secours,
Il percera ses mondes inconnus, ses douleurs sourdes.
Il voguera sur les bandes de béton armé de sa seule gourde,
Pleine d’ambroisie, de désespoir et d’irrévérence,
Feindra l’arrogance, la plénitude au cœur, en transe.
Pas de victoire, de rêve à conquérir, de paradis,
Juste l’envie, la puissance et le mépris,
Et puis tant pis pour sa vie bâtie par le temps,
Il compactera l’espace et le moment.
Mais voilà, sans prévenir, la fougueuse étreinte se tire,
La confiance, le printemps des sens s’enfuient,
Le moi devient flou, le désespoir lasse, et le bonheur fige,
Fixant les illusions et le désordre ambiant, l’alternative marrie dans l’erreur,
L’ego s’étiole dans la limite des mots trop abstraits,
L’aigreur perd de sa force, couvant sous la honte,
Les mondes se brisent et s’essoufflent, au son des contresens,
Les tripes s’étalent sous l’érosion des raisonnements,
L’évidence d’une saveur lointaine sans aspirations.
La tête basse et les oreilles froides, il n’est plus qu’un jeu de transparences,
Un avatar sans force, écrasé par trop de rêves agglutinés sur son dos.
L’étau se desserre, les boulons sautent, le barrage s’ouvre patiemment.
Sa peau devient écorce, craquant sous le lierre des évènements,
Petite déroute, petite flemme, petite honte, et grands absents,
Ses désirs fuyant en rang d’oignon avec les restes de l’horizon.
Pas d’explication, pas de sens, une cage en verre effrayante,
Certains coins sombres et chauds prennent alors des airs charmeurs,
Les corps filent devant ses yeux acharnés, usés par l’attente,
Il se jette sur les rails et commence sa longue descente.